samedi 14 mai 2011

Notes sur LES CARACTÈRES DE LA BRUYÈRE

-Les Caractères, recueil de maximes et portraits moraux, ont été publiés à Paris en 1688 ; ils apportent à La Bruyère la gloire : le 16 mai 1693, il est sur cet unique ouvrage élu à l’Académie française.

-La Bruyère est l’homme d’un seul livre ; vers 1670-1674 il a dû commencer à consigner par écrit ses réflexions sur la société qui l’entoure, et jusqu’à sa mort il ne cessera de corriger et de retravailler le texte qui fixe sa vérité.

-Entre 1688 et 1696, le livre va considérablement évoluer, point dans le nombre (16) ni dans l’ordre de ses chapitres, mais dans le nombre des remarques qui les composent (on passe de 420 remarques pour la première édition à la 1120 pour la deuxième).

-Les ajouts de La Bruyère n’ont pas pour but d’équilibrer la longueur des différents chapitres, mais d’introduire plus de diversité à l’intérieur de chacun d’eux par une alternance de textes différenciés.

-On distingue trois types de remarques :
1) les maximes (exprimant une vérité morale universelle)
2) les réflexions (qui interviennent en commentaire d’un énoncé général et comptent en moyenne une dizaine de lignes)
3) les portraits (de longueur variable et dont les modèles sont désignés la plupart du temps par un nom fictif)

-Au début de sa carrière littéraire, La Bruyère est gouverné par la prudence : il ne se donne guère pour ambition d’améliorer ses semblables, la place de la satire est limitée. Mais petit à petit les attaques personnelles vont se faire plus nombreuses et directes, l’auteur va afficher son désir d’instruire et de réformer le lecteur : il donne un cours plus libre à son pessimisme et aboutit à une véritable critique sociale. À la fin, il tranche du philosophe et se pose – nouveau Pascal – en apologiste de la religion chrétienne.

-Les Caractères, suivent-ils un plan ? Il n’est pas évident de découvrir une logique dans la suite de leurs chapitres ou de leurs remarques. La Bruyère semble le premier donner dans l’illusion rétrospective (lorsqu’il écrit en 1694 dans la Préface de son Discours à l’Académie) que les 15 premiers chapitres „ne sont que des préparations au seizième“ (leur objet serait de ruiner systématiquement „tous les obstacles qui affaiblissent d’abord, et qui étreignent ensuite dans tous les hommes la connaissance de Dieu“).

-Le livre s’ouvre sur le livre, trouve son centre de gravité à traiter de l’État et culmine avec la religion : écrivain → roi → Dieu

-D’après R. Barthes „Les Caractères sont en un certain sens un livre de savoir total“ (= une ambition d’universalité).

-La Bruyère veut couvrir à la façon d’un cartographe toutes les régions du monde humain sans laisser subsister de terres inconnues.

-Au lieu d’un ordre analytique, on se trouvera confronté à une répartition par zones : deux chapitres sur la nature humaine en général („De l’homme“, „Des jugements“), les autres se regroupant en champs thématiques différenciés – l’art („Des ouvrages de l’esprit“), l’amour („Des femmes“, „Du cœur“), la société („De la ville“, „De la cour“, „Des grands“, „De la mode“, etc.) et la religion („De la chaire“, „Des esprits forts“). 

-Le savoir chez La Bruyère est indissociable de la critique. Rien, ou presque rien ne le satisfait. Pour mieux accabler ses contemporains, La Bruyère peint le passé aux couleurs d’un mythique âge d’or :
▫ en littérature, et globalement dans l’art, la perfection se situe au commencement
▫ pour la vie sociale, il faut regretter le mode d’existence patriarcal et l’économie „champêtre“ des premiers hommes
▫ le souvenir idéal apparaît sous les traits d’un biblique pasteur

-D’un mot peut se résumer ce qui est perdu : la nature, au sens même immédiat du terme. Au lieu de la nature et de la réalité règnent l’artifice et l’apparence. La société ainsi n’a plus de fondement naturel, ses distinctions ne renvoient ni au mérite ni au travail.

-À ce monde désarticulé ne peut convenir qu’une écriture discontinue. La Bruyère, comme presque tous les moralistes, adopte la forme du fragment (elle impose la diversité, les contradictions, l’inconsistance même de son sujet – l’homme).

-Dans le recueil, le personnage ne passent pour une personne, il est réduit à la série de ses gestes : ce qui fait défaut en lui, c’est l’intériorité vivante qu’on a précisément coutume d’appeler „caractère“.

(Source principale: Jean-Pierre Beaumarchais, Daniel Couty, Dictionnaire de grandes œuvres de la littérature française, Larousse-Bordas, Paris, 1998.)

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