mardi 19 avril 2011

George Sand et le féminisme avant l'heure

Portrait de Sand, peint par Delacroix

George Sand, de son vrai nom Aurore Dupin, est née en 1804 à Paris. Fille d’un officier des armées impériales et d’une ouvrière en modes, elle fut l’épouse du baron Casimir Dudevant, mais se sépara de lui au bout de quelques années et continua de mener une vie indépendante. Toute sa vie fut placée sous le signe d’une grande liberté. Son œuvre abondante comporte environ quatre-vingt romans, plus de vingt volumes de correspondance, ainsi que des études diverses et des récits autobiographiques. De plus, elle collaborait avec de nombreux journaux (La Liberté, La Revue des deux mondes, La Presse, Le Monde, L’Artiste et beaucoup d’autres) où elle publiait ses textes critiques, et, avec le socialiste Pierre Leroux, elle fonda La Revue indépendante dans laquelle elle faisait circuler ses propres idées. À l’initiative de son fils Maurice Sand et de sa femme Lina Calamatta, les Questions d’art et de littérature, recueil de textes critiques de George Sand, ont été publiées à titre posthume en 1848. Aujourd’hui, ce recueil représente la source la plus accessible pour connaître Sand comme journaliste, chroniqueuse et surtout comme critique. 

Elle devint célèbre grâce à ses premiers romans écrits au sein du romantisme (marqué principalement par le „mal du siècle“ que les Allemands appelaient „weltschmerz“ – vague malaise incurable pour la plupart des artistes romantiques) auquel ils appartiennent par leurs caractéristiques ; ce sont Indiana (1832), Valentine (1832) et Lélia (1833). Leur thème principal est la position des femmes mariées et ils illustrent les inconvénients de leur  statut matrimonial. Il est connu qu’à cette époque-là, la situation était assez pénible pour les membres du beau sexe. Il suffit de rappeler qu’en 1804, le code Napoléon affirma l’incapacité juridique des femmes. L’égalité des sexes ne sera inscrite dans le droit français qu’avec la Constitution en 1946.

L'œuvre entière de Sand, et pas seulement quelques-uns de ses romans,  est consacrée aux problèmes des femmes et c’est en premier lieu à travers ses écrits, alors à titre individuel, qu’elle défendait leurs droits. C’est pourquoi, en parlant aujourd’hui d’elle, nous parlons d’un féminisme avant l’heure qui connaîtra son éclosion beaucoup plus tard, pas avant la deuxième moitié du XXème siècle, et qui prendra pour Bible le fameux Deuxième sexe de Simone de Beauvoir. 

George et Flora
 Le féminisme de George Sand n’était jamais radical, comme ce fut le cas avec la militante socialiste Flora Tristan dont les idées, par exemple, portaient sur le plan économique et n’étaient ni comprises ni acceptées. En revanche, les idées de Sand se sont répandues dans toute l’Europe et, depuis cette époque-là, se sont réalisées en très grand nombre. Flora reprochait à George la formulation de sa critique sous le voile de la fiction romanesque, ainsi que son pseudonyme masculin, et George, de sa part, reprochait à Flora son exaltation propagandiste et qualifiait ses idées d’enfantillages. Les spécialistes de la question du féminisme de George Sand disent qu’elle est réfléchie. Elle espère éviter aux femmes moins bien préparées qu’elle, les difficultés qu’elle a eues. Elle contribue à changer la société si mal faite pour les opprimés, en particulier pour les femmes – explique Fernand
Bassan dans un essai consacré à Sand. La force de la position de George résulte de ce qu’elle a prêché d'exemples et souffert des maux qu’elle a combattus. Elle a démontré qu’une femme pouvait à la fois être amante et mère, jouer un rôle social, et gagner sa vie et créer – ajoute-t-il. Elle plaidait principalement pour l’égalité des sexes, l’égalité dans le mariage (ce qui sous-entend les mêmes responsabilités dans la famille) et l’égalité devant l’instruction. En ce qui concerne l’égalité des droits civiques, elle les réserva pour l’avenir.

Comme romancière, elle créa une large gamme de caractères féminins, en les décrivant d’une manière convaincante et, dans son autobiographie, elle suggéra même l’universalisation de l’expérience féminine. La place qu’elle attribua aux femmes est aussi grande dans ses textes critiques. Elle voulait éveiller chez ses contemporains la conscience de l’importance de l’écriture féminine et de leur rôle dans le monde de l'art en général. Sa tendance à présenter les mêmes idées sous différentes formes reflète son insatisfaction à l’égard de leur position et révèle la nécessité de changement. Toutes ses présentations ont été réalisées dans l’espoir de la prospérité - Un temps viendra donc, peut-être, où le domaine des sciences, des arts et de la philosophie sera ouvert aux deux sexes – disait-elle. Cet espoir fut renforcé par sa croyance que les hommes assez forts et sages veulent aussi l’émancipation intellectuelle des femmes. Par conséquent, elle critiquait tous ceux qui ne l’étaient pas, croyant que ce sont des hommes faibles, qui ont besoin de la gendarmerie pour constater leur supériorité, et qui, à défaut de secours, retomberaient au-dessous de leurs esclaves. Les textes avec cette thématique, Sand les a écrits à la première personne du pluriel, en osant prendre position devant toutes les femmes qu’elle représentait. Ainsi ce „nous“ féminin est-il devenu plus fort. L’essentiel de toute cette histoire, c’est que la valeur doit être reconnue, et elle est certainement retrouvable chez les deux sexes.

Madame Merlin, Marie Dorval, Mademoiselle Mars… ne sont que quelques-uns des noms féminins que nous rencontrons dans les textes critiques de Sand et qu’elle glorifiait avec raison. Amable Tastu, Elisa Mercœur, Antoinette Quarré – toutes poétesses – méritent également d’être mentionnées ici, étant donné le fait que Sand écrivait à leur sujet avec beaucoup de ferveur. En traitant le problème de l’écriture féminine, elle a mis en évidence sa grande importance psychologique. L’éducation est considérée comme un facteur important pour l’amélioration de sa qualité et c’est pourquoi, au nom des Lumières, au nom de la philosophie, au saint nom de l’art poétique, elle priait la critique d’entreprendre paternellement l’éducation des femmes auteurs.

Georges Sand a trouvé de multiples manières d’exprimer son féminisme. Par son engagement, elle a réussi, entre autres, à diriger l’attention des lecteurs sur les spécificités de l’écriture au féminin et surtout sur son importance. Dès le début des années soixante-dix du siècle précédent, il sera accordé une attention particulière à cette écriture dans le cadre de nombreuses théories – citons ici la gynocritique et la théorie française de l’écriture féminine. George Sand aurait certainement été contente de ce développement des études féminines. 

 Jovana SLIJEPČEVIĆ

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