jeudi 12 décembre 2013

Notes sur LE THÉÂTRE DE L’ABSURDE

- Si, jusqu’à Antonin Artaud, le théâtre occidental tentait d’élucider, de déchiffrer ou de définir les relations des individus entre eux et le monde, le théâtre de l’absurde nie le fondement d’une telle tentative et veut offrir de l’existence une vision brute, intrinsèquement dénuée de signification. Le déroulement dramatique, symboliste, affirmait, jusque dans la représentation de la folie et du rêve, la cohérence première du monde et de l’être, en fournissant, soit par les dialogues, soit par l’enchaînement des situations, une interprétation de ce qui était montré sur la scène. Ainsi, ce théâtre admettait qu’un sens pouvait être conféré à l’existence, telle que la reflétait le microcosme dramatique.

- Le théâtre de l’absurde est tributaire de l’existentialisme qui, avec Jean-Paul Sartre, conteste la fonction du langage et postule, avec Albert Camus, que l’absurde naît de la commune présence de l’homme et du monde. Sur le plan de la dramaturgie, il est profondément influencé par l’œuvre théorique d’Antonin Artaud et de Bertolt Brecht, auteurs qui, refusant le théâtre psychologique et anecdotique, donnaient aux gestes et au corps de l’acteur, à la stylisation du jeu et du langage une importance prépondérante. 

- Le théâtre de l’absurde s’est d’abord modelé sur la littérature moderne. Les recherches verbales de James Joyce qui tendaient, à travers la destruction et la reconstruction du langage, à restituer la totalité du vécu, ainsi que les récits de Franz Kafka dont les personnages sont confrontés à des mécanismes oppressifs et inexplicables, ont inspiré les auteurs du théâtre de l’absurde. Cependant, le théâtre d’August Strindberg, l’Ubu d’Alfred Jarry et certaines pièces de Luigi Pirandello, telles qu’Henri IV ou Six personnages en quête d’auteur, annoncent « l’absurde » théâtrale.

- Dans le théâtre de l’absurde, l’intrigue est désintégrée et l’absurdité des différentes relations est essentiellement traduite par « les incertitudes du langage ». Ainsi Eugène Ionesco, Samuel Beckett, Harold Pinter, Jean Tardieu discréditent-ils le premier des moyens de communication : la parole humaine. Dans leurs œuvres, le langage est dévalorisé, dissous ; les dialogues et les monologues, chez Ionesco et surtout Beckett, s’écoulent en une succession de phrases vides, ainsi inappropriées que possible à une réalité qui se dérobe. (→ dans La Cantatrice chauve, Ionesco est inspiré par l’absurdité des exemples de conversation courante proposés par les manuels de langue ; chez Beckett, les personnages s’en remettent entièrement au langage et ne cessent de commenter sans se l’expliquer leur misérable condition jusqu’à ce que les mots aient perdu tout sens ; Tardieu, dans Un mot pour un autre, transforme en délire une vulgaire scène de boulevard en remplaçant simplement, à l’intérieur de phrases banales, un mot par un autre ; les dialogues de Pinter dépassent le réalisme et avec leurs ressassements triviaux, leurs répétitions, leurs silences, ils ne reflètent plus, tel le théâtre réaliste, « l’épaisseur » de la vie, mais son amenuisement quotidien.)

- L’importance que le théâtre de l’absurde confère dérisoirement au langage est proportionnelle au caractère inexplicable des événements. Les objets peuvent ne plus répondre à leur définition. (→ dans Comment s’en débarrasser, Ionesco montre des personnages qui s’obstinent à traiter en cadavre un corps qui ne cesse de grandir, s’acharnant en vain à le faire disparaitre ; dans La Grande et la Petite Manœuvre d’Arthur Adamov qui, influencé par Kafka, donne la primauté à l’absurde de situation, un homme perd un membre chaque fois qu’il fait preuve de faiblesse)

- Pour des raisons politiques, le théâtre de l’absurde a été brillamment représenté en Europe de l’Est. (→ Slawomir Mrozek, Vaclav Havel)

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