lundi 29 août 2011

Joseph Macé-Scaron, obsédé intertextuel


Le cas Macé-Scaron semble s’aggraver : en sus d’emprunts à un livre de Bill Bryson (Libération de mercredi), son Ticket d’entrée (Grasset, plus de 40 000 exemplaires vendus)se révèle comporter un emprunt tout aussi discret à la Belle Vie, un roman de l’Américain Jay McInerney paru en France en 2008. Et voilà que, pour faire bonne mesure, un lecteur attentif signale qu’un roman précédent de Joseph Macé-Scaron, Trébizonde avant l’oubli (Robert Laffont), doit quelques-unes de ses lignes au Journal parisien d’Ernst Jünger. N’est-ce pas pousser très loin «l’intertextualité» ? Telle est en effet la ligne de défense adoptée par Macé-Scaron, lequel avait dans un premier temps plaidé «une connerie».

Les nouvelles révélations des exégètes de son œuvre n’ébranlent guère le directeur adjoint de Marianne, également directeur du Magazine littéraire. «J’utilise et réutilise des textes d’écrivains pour lesquels je nourris une grande admiration, c’est un procédé littéraire classique.» – a-t-il admis. Mais alors pourquoi avoir d’abord parlé de «connerie» ? «Parce que faire de l’intertexte aujourd’hui est devenu une connerie», vu le climat du moment» – répond-il.

L’affaire a pris un tour délicieusement germanopratin avec le plaidoyer qu’a entrepris, jeudi dernier, le journaliste et écrivain Pierre Assouline dans le Monde des livres, via une chronique titrée «Il n’y a pas d’affaire Macé-Scaron»[1]. Non sans audace, et non sans avoir précisé qu’il était aussi collaborateur du Magazine littéraire, Pierre Assouline a justifié les exercices intertextuels de Macé-Scaron en soulignant que «Michel Houellebecq n’avait pas agi autrement en recopiant des pages d’une encyclopédie interactive dans la Carte et le Territoire, sans même prendre la peine de citer sa source, et cela n’avait guère posé de problème». Cela avait tout de même posé suffisamment problème pour que Flammarion s’engage à faire figurer dans les nouvelles éditions du roman une mention reconnaissant les emprunts à Wikipédia.

Peut-être Joseph Macé-Scaron aurait-il pu plaider le surmenage, mais de ce côté-là les choses s’arrangent puisqu’il ne produira plus l’émission Jeux d’épreuves sur France Culture à la rentrée, et que désormais sa collaboration à Marianne ne comprend plus la supervision des pages Culture. Deux changements prévus depuis plusieurs semaines, qui sont donc sans rapport avec les turbulences du moment.

(source -  Libération)


[1] Il y a deux moyens de tuer un homme politique : l'accusation de négationnisme et le soupçon de pédophilie. Il n'y a qu'un moyen de tuer un écrivain : le traiter de plagiaire. Il ne s'en remettra pas. La casserole tintera à ses basques jusqu'à la consommation des siècles. Il la portera dans sa biographie comme la femme adultère du roman de Nathaniel Hawthorne sa "lettre écarlate" sur la poitrine.
Joseph Macé-Scaron en fait l'amère expérience depuis le début de la semaine. Journaliste, il occupe des postes de direction à Marianne et au Magazine littéraire (auquel je m'honore de collaborer, honni soit qui mal y pense - devise anglaise piquée sans vergogne à l'Ordre de la Jarretière) ; chroniqueur, il commente et débat régulièrement sur iTélé, Canal+, RTL, France Culture et c'est tout ; écrivain, il a publié sans problème huit livres, et un neuvième à problème.
Ticket d'entrée (Grasset, 330 p., 19 €), roman à clés si peu opaque qu'il semble fourni avec le trousseau, est une satire corrosive des milieux politiques et journalistiques au prisme gay à l'ère vétéro-sarkozyste, et de l'atmosphère de délation qui corrompt ce petit monde. Le livre est paru en mai, il a eu le temps de gagner un vaste public et le prix de la Coupole, mais le problème est survenu ces jours-ci.
Le site de critique des médias Acrimed a dénoncé les similitudes portant notamment sur la description de la technique d'identification des numéros d'ordinateur (passionnant...) entre quelques brefs passages de Ticket d'entrée et deux pages d'American rigolos (Rivages) de l'écrivain américain Bill Bryson, sous le titre : "Joseph Macé-Scaron plagiaire ?" Dans le même temps, le site Arrêt sur images, ayant bénéficié du même informateur avant d'interroger l'auteur, et celui-ci s'étant fait piéger en admettant "des emprunts" aussitôt traduit "un plagiat", c'est l'emballement médiatique, cet orage puis cette essoreuse dont on ressort en loques. La -Toile s'enflamme sans nuance, les blogs se déchaînent, les médias traditionnels suivent. Les forums de discussion dégueulent un florilège haddockien : "Kleptomane d'idées !... Voleur !... Sophiste !.. Menteur !... Manipulateur !... Faus-saire !... Activiste !... Minable !... Arbitre des élégances culturelles !... Pompeur deux fois plutôt qu'une !... Donneur de leçons !...", cette dernière étant la pire injure, celle qui revient le plus souvent, rançon de l'omniprésence médiatique du commentateur de l'actualité. Les internautes ne doutent guère qu'il a été pris en "flagrant délit de troussage de livre un peu limite". En quelques heures, le point d'interrogation a sauté, le coupable lynché. Plagiaire. Même si le mot ne veut rien dire en droit, où l'on parle en l'espèce de "contrefaçon totale ou partielle".
Adieu clins d'oeil, échos, hommages
Tout ça pour ça ? Pour sa défense, -Joseph Macé-Scaron reconnaît : "C'est une connerie." Entendez que s'il a un regret à formuler, c'est bien celui-ci : cette affaire témoigne de ce que la littéra-ture ne peut plus se permettre de clins d'oeil, d'échos, d'hommages de ce type alors que le cinéma, la peinture, le théâtre, la musique sans oublier l'Internet en regorgent. "Au XXe siècle, les travaux de Kristeva, de Compagnon (sur Montaigne d'ailleurs), de Barthes et de Genette (Palimpsestes) ont montré que l'innutrition était la principale source de littérature, qu'elle soit ancienne ou moderne. On ne reprend pas des morceaux de la réalité : on reprend des morceaux des autres livres. C'est ce qu'on appelle désormais l'intertextualité, que tout étudiant en lettres connaît très bien", nous dit-il.
Il cite Montaigne et ses quelque quatre cents emprunts à Plutarque avant de rejeter des deux mains le moindre soupçon de plagiat. D'autant qu'il rend hommage à Bill Bryson et ses chroniques américaines dans le corps même de son texte. Ce qui reviendrait à tendre une verge pour se faire battre s'il n'avait pas eu la conscience tranquille. Après tout, Michel Houellebecq n'avait pas agi autrement en recopiant des pages d'une encyclopédie interactive dans La Carte et le Territoire, sans même prendre la peine de citer sa source, et cela n'avait guère posé de problème. Or la justification littéraire de Macé-Scaron est parfaitement identique à la sienne ; sauf que Houellebecq, lui, peut tout se permettre : son cynisme, son sens de l'autodérision et son statut de "grand écrivain" le protègent.
Dans la brève notice biographique de Joseph Macé-Scaron sur Wikipédia, l'affaire occupe déjà quatre lignes, espace disproportionné. Gageons qu'il ne diminuera pas avant longtemps. Le mal est fait. "Quand les événements nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs", suggère un fameux aphorisme attribué à Clemenceau ou à Cocteau selon les sources, l'un ayant plagié l'autre. Nous ne serions donc pas surpris d'apprendre que Joseph Macé-Scaron consacrera un prochain numéro spécial du Magazine littéraire au plagiat.
(Pierre Assouline, Il n'y a pas l'affaire Macé-Scaron, in Le Monde des livres)

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