dimanche 1 avril 2012

Mal du pays & Loup de mer

Et voici deux nouveaux poèmes de Mme Milica Ščepanović inspirés par les Dix mots de la francophonie 2006 et 2008. En espérant que dans un avenir proche son premier recueil de poésie verra le jour, nous vous souhaitons de prendre autant de plaisir à les lire que nous en avons eu nous !


Mal du pays (année 2006)

Dédié  à Anka, amie de Sarajevo

Nous étions jeunes filles, presque enfants
Sachant tresser des guirlandes de fleurs,
Aux lèvres maquillées aux myrtilles
Bercées dans un monde féerique et solidaire
Aux pâturages des montagnes des Balkans,
Au bord de la mer intensément bleue,
Sur les pierres calcaires, au bord des rivières
On ressemblait aux êtres d’un autre univers.

Une soif  immense nous brûlait, effrénée
Et en cherchant à l’assouvir, apaiser,
Nous sommes venues au cœur du pays
Qu’on nommait alors Yougoslavie
Pour faire une escale vers la terre promise
Pays de Monet, Descartes et Mona Lise.
Nous rêvions des eaux différentes
Du pays des cathédrales flamboyantes.

Des bourreaux sinistres portant la camarde
Nous faisant écouter leurs chansons ringardes
Ecroulèrent notre paradis en fleurs.
En se cachant sous les masques de Moïse
En pulvérisant nos rêves prospères
Ils nous emmenèrent droit à l’enfer.

A présent, quand il  faut  passer l’éponge
Au nom du bon vieux temps, de nos songes
Je t’invite à bavarder sur un ton de badinage
En passant  sous silence, comme  par hasard,
Ces temps de guerre, de sang et  de rage
De marécages infects où l’on a souffert.

Sois mon hôte, illustre et d’importance
Je t’attends prête, depuis des années.
Battons les tambours, rions aux éclats,
Rappelons la jeunesse rebelle et révoltée,
Echouée au promontoire, dans un beau pays
Enseveli à jamais dans les livres d’histoire. 

Pour échanger nos succès, nos naufrages
Revendiquons nos accents oubliés
Difficilement imitables, nasillards ou hautains
Des quatre coins de  l’ancienne patrie
Tombée en poussières, au milieu du continent
En pleines cueillettes sur les pâturages.

Un kaléidoscope d’impressions qui éblouit
S’ouvrira devant nos yeux larmoyants
Nous allons chanter nos airs préférés
Boire  pour amoindrir ce mal du pays 
Et pour redevenir  fillettes délurées
Chastes,  croyant à l’amour éthéré
Yeux grand ouverts, bouches pleines de miel
Au-delà du possible, même en outre-ciel.

  
Loup de mer (année 2008)

Si j’osais traverser cette passerelle,
Sans avoir ni de vertige, ni de nausée
Voir ton visage entouré des nageoires,
M’attendrais-tu, loup de mer, à bord
Où une table nous guette, raffinée
Pour nous offrir un festin jubilatoire

Si j’osais m’attabler, n’étant plus étrangère
Tomberais-je de nouveau dans les pommes
Jouerais-tu avec les sentiments forts
Qui se cristalliseraient sur mon visage
En faisant  trembler mon corps de môme
Caché d’un pull cerise de bord effrangé

Si j’osais avouer qu’elles me consolent,
Tes palabres entamées dans l’air,
Tes paroles solennelles et coulantes,
Perdrais-je à nouveau la boussole,
Devant toi, loup de mer, mon orateur disert

Si j’osais laisser pousser ce rhizome d’amour en moi
Navigant, flottant  avec toi, mon marin, en pleine mer,
Se faufilant entre les terres isolées et inabordables
Tu m’apprivoiserais, comme si j’étais un renard,
D’un seul geste caressant, du tact irréprochable ?

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