- Si, jusqu’à Antonin Artaud, le théâtre occidental tentait d’élucider, de
déchiffrer ou de définir les relations des individus entre eux et
le monde, le théâtre de l’absurde nie le fondement d’une telle tentative
et veut offrir de l’existence une vision brute, intrinsèquement dénuée de
signification. Le déroulement dramatique, symboliste, affirmait, jusque dans la
représentation de la folie et du rêve, la cohérence première du monde et de
l’être, en fournissant, soit par les dialogues, soit par l’enchaînement des
situations, une interprétation de ce qui était montré sur la scène. Ainsi, ce
théâtre admettait qu’un sens pouvait être conféré à l’existence, telle que la
reflétait le microcosme dramatique.
- Le théâtre de l’absurde est tributaire de l’existentialisme qui, avec
Jean-Paul Sartre, conteste la fonction du langage et postule, avec Albert
Camus, que l’absurde naît de la commune présence de l’homme et du monde. Sur le
plan de la dramaturgie, il est profondément influencé par l’œuvre théorique
d’Antonin Artaud et de Bertolt Brecht, auteurs qui, refusant le théâtre
psychologique et anecdotique, donnaient aux gestes et au corps de
l’acteur, à la stylisation du jeu et du langage une importance
prépondérante.
- Le théâtre de l’absurde s’est d’abord modelé sur la littérature moderne.
Les recherches verbales de James Joyce qui tendaient, à travers la destruction
et la reconstruction du langage, à restituer la totalité du vécu, ainsi que les
récits de Franz Kafka dont les personnages sont confrontés à des mécanismes
oppressifs et inexplicables, ont inspiré les auteurs du théâtre de l’absurde.
Cependant, le théâtre d’August Strindberg, l’Ubu d’Alfred Jarry et certaines pièces de Luigi Pirandello, telles qu’Henri IV ou Six personnages en quête d’auteur, annoncent « l’absurde »
théâtrale.
- Dans le théâtre de l’absurde, l’intrigue est désintégrée et l’absurdité
des différentes relations est essentiellement traduite par « les incertitudes
du langage ». Ainsi Eugène Ionesco, Samuel Beckett, Harold Pinter, Jean Tardieu
discréditent-ils le premier des moyens de communication : la parole
humaine. Dans leurs œuvres, le langage est dévalorisé, dissous ; les
dialogues et les monologues, chez Ionesco et surtout Beckett, s’écoulent en une
succession de phrases vides, ainsi inappropriées que possible à une réalité qui
se dérobe. (→ dans La Cantatrice chauve,
Ionesco est inspiré par l’absurdité des exemples de conversation courante
proposés par les manuels de langue ; chez Beckett, les personnages s’en
remettent entièrement au langage et ne cessent de commenter sans se l’expliquer
leur misérable condition jusqu’à ce que les mots aient perdu tout sens ;
Tardieu, dans Un mot pour un autre,
transforme en délire une vulgaire scène de boulevard en remplaçant simplement,
à l’intérieur de phrases banales, un mot par un autre ; les dialogues de
Pinter dépassent le réalisme et avec leurs ressassements triviaux, leurs
répétitions, leurs silences, ils ne reflètent plus, tel le théâtre réaliste, «
l’épaisseur » de la vie, mais son amenuisement quotidien.)
- L’importance que le théâtre de l’absurde confère dérisoirement au langage
est proportionnelle au caractère inexplicable des événements. Les objets
peuvent ne plus répondre à leur définition. (→ dans Comment s’en débarrasser, Ionesco montre des personnages qui
s’obstinent à traiter en cadavre un corps qui ne cesse de grandir, s’acharnant
en vain à le faire disparaitre ; dans La
Grande et la Petite Manœuvre d’Arthur Adamov qui, influencé par Kafka,
donne la primauté à l’absurde de situation, un homme perd un membre chaque fois
qu’il fait preuve de faiblesse)
- Pour des raisons politiques, le théâtre de l’absurde a été brillamment
représenté en Europe de l’Est. (→ Slawomir Mrozek, Vaclav Havel)
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