-Le recueil est composé de six chants en prose. Le chant I fut publié sans nom d’auteur (comte de Lautréamont, pseudonyme d’Isidore Ducasse) à Paris en 1868, et l’ensemble à Bruxelles en 1869. La mise en vente de cette édition originale fut interdite en France.
-Ce sont les surréalistes qui contribueront le plus efficacement à faire sortir de l’ombre l’œuvre de Lautréamont. En 1919, ses Poésies sont republiées pour la première fois depuis 1870 par André Breton dans Littérature. L’année suivante, paraît la première grande édition moderne des Chants de Maldoror (Paris, La Sirène) et Breton lui rend hommage dans un article de la Nouvelle Revue française.
-En 1947, Julien Gracq voit surtout dans les Chants une formidable révolte adolescente due à l'enfermement scolaire (Jarry en est un autre exemple singulier), et Lautréamont devient alors un „dynamiteur archangélique“. Pour Artaud, qui le rapproche de Nietzsche, c'est un „poète enragé de vérité“, et c'est vrai. Cependant, il faut attendre 1950, et le Lautréamont et Sade de Blanchot pour que les choses s'éclairent. Blanchot est en effet le premier à préciser que le personnage principal des Chants est le lecteur, le lecteur que devient Lautréamont lui-même en écrivant sa stupéfiante aventure. Il y a une „logique implacable“ à l'œuvre dans les ténèbres du Mal comme il y aura bientôt une logique tout aussi implacable dans l'apologie du Bien. L'homme est mauvais, celui qui l'a créé est mauvais, toutes les strophes impeccablement fiévreuses des Chants nous le rappellent avec une maîtrise mathématique du délire, servie par un humour terroriste. Est-ce sérieux ? Oui, très. Est-ce comique ? Pas moins. Voilà de quoi désorienter à jamais l'être humain, ce „canard du doute“. (Philippe Sollers)
-Les Chants de Maldoror constituent une parodie de l'épopée. Ce n'est pas une chanson de hauts gestes qui nous est offerte mais les horreurs commises par un sombre antihéros nommé Maldoror. L'œuvre oscille inlassablement entre narration et réflexion incompréhensible. Lautréamont se plait à aller toujours plus loin dans la transgression.
-Les chants de l’ouvrage sont divisés en strophes. Les Chants de Maldoror résistent à toute tentative de classification générique. Dans le sixième chant, Lautréamont parle, à quelques lignes de distance, de sa „poésie“ et de ses „récits“ et il avait même employé le terme de „roman“.
-Le texte est fondé sur une esthétique de la rupture : chaque strophe peut être lue comme un fragment poétique autonome.
-Le personnage de Maldoror est moralement complexe et physiquement polymorphe (→ il a le pouvoir de se métamorphoser). Grammaticalement, il est présent sous les formes du je et du il. Par le biais de l'emploi de la troisième personne du singulier Lautréamont déclare que son personnage principal „était né méchant“. Cependant l'auteur qualifie cette méchanceté comme une „fatalité“, que son héros aurait essayé de cacher et d'enfuir, ce qui „ne lui était pas naturel“. De plus, l'auteur avertit le lecteur dès la première page du chant premier à ce qu'il va découvrir ; cette découverte est déconseillée aux âmes sensibles, influençables. Lautréamont met d'emblée l'accent sur le mal dont Maldoror va faire preuve.
-Ce héros maudit porte sa vocation et son destin dans son nom dont le mal forme la première syllabe ; à une consonne près, on peut lire aussi dans ce nom la douleur (dolor/doror). Héritier explicite du romantisme satanique („J’ai chanté le mal comme ont fait Mickiewicz, Byron, Milton, Southey, A. de Musset, Baudelaire, etc. Naturellement, j’ai un peu exagéré le diapason pour faire du nouveau […]“ – indique l’écrivain dans le lettre à l’éditeur Verboeckhoven), Lautréamont campe un personnage hyperboliquement maléfique qui trouve dans la contemplation de la souffrance une suprême jouissance. Maldoror ne se borne pas à assister passivement au spectacle de la douleur. Il se complaît à faire souffrir les humains et trouve pour cela de multiples raffinements de cruauté.
-Maldoror refuse d’accepter les limites humaines et sa soif d’infini se mue en rage destructrice. Sa violence est le fruit de la révolte et du désespoir („J’ai reçu la vie comme une blessure“). Comme l’écrit Blanchot, „Maldoror est aussi bien celui qui est blessé que celui qui blesse“.
-L’écriture de Lautréamont est une écriture de la cruauté. Riches en scènes barbares et peuplés de monstres divers, les Chants de Maldoror usent fréquemment des rouages du fantastique et de l’horreur. Cette écriture exprime parfois sa difficulté d’être – ainsi la nécessité d’écrire et la douloureuse paralyse devant la page blanche sont-elles clairement explicitées. Elle clame surtout son absolue liberté. Les fameuses comparaisons bâties à partir de la formule „beau comme“ et si prisées par les surréalistes participent de la même euphorie poétique, de ce maniement du verbe à la fois débridé et provocant.
(Sources diverses)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire